Une conquête difficile pour les alliés (1914-1916)
Conseils, relecture et mise en forme : Loïc GAUDEAU
Le Cameroun devient un front secondaire du conflit dès le mois d’août 1914, alors que la guerre de mouvement en Europe vient juste de commencer. Les Camerounais y participent aux cotés des Allemands et affrontent les puissances coloniales française, britannique et belge. Si peu de combats ont lieu à Douala proprement dit, la principale ville portuaire et ancienne capitale du Kamerun allemand (de 1884 à 1901 et de 1909 à 1910), sert tout au long du conflit de base arrière aux alliés qui y établissent leur commandement et préparent leurs offensives sur les différents fronts. Encerclées et asphyxiées, les forces allemandes capitulent au début de l’année 1916, après une longue résistance de plus de 16 mois.
1. Le début du conflit (août-décembre 1914)
Un officier allemand et des soldats camerounais de la schutztruppe
(Source : archives allemandes (Bundes archiv))
La guerre au Cameroun est déclenchée le 5 août 1914 par l'entrée d'une colonne venant du Tchad et le 6 août par l’attaque sur le fleuve Congo de Bonga et sur l’Oubangui de Zinga, dans l'est de la colonie allemande.
Forces en présence
Pour l'effort de guerre, le Kamerun dispose au début du conflit de moins de 4000 soldats coloniaux, encadrés par 250 officiers allemands. Les forces militaires sont placées sous le commandement du Lieutenant-colonel Zimmerman et composées essentiellement de soldats indigènes divisés en deux corps : la schutztruppe (« troupes de protection ») et la polizeitruppe (forces de police).
Les troupes allemandes se révèlent relativement mieux entraînées que leurs adversaires, munies d'une quantité importante de matériel d'artillerie mais restent peu nombreuses, au vu de l’étendue des frontières à défendre (4000 km) et de l’immensité du territoire (plus de 750 000 km2). Elles doivent faire face aux troupes alliées qui encerclent la colonie du Kamerun.
Les forces de la Triple Entente bénéficient donc d’un avantage stratégique important, doublé d’un avantage numérique. En effet, l’AEF, à elle-seule, dispose de 6900 hommes, dont 630 Européens, répartis en plusieurs colonnes. Au nord, les colonnes Brisset et Ferandi peuvent compter sur le soutien des forces anglaises du Nigéria. Dans le sud, les colonnes de l'A.E.F sont aidées par la force publique belge, qui déploie plusieurs centaines de soldats pour se battre aux côtés des Français. Enfin, pour s’emparer du littoral camerounais, un important corps expéditionnaire franco-anglais est constitué, dès les mois d’août-septembre 1914. Il regroupe 2500 soldats et 3400 porteurs du côté britannique et 2000 tirailleurs sénégalais et 1000 porteurs, côté français.
Soldats du corps expéditionnaire franco-britannique embarquant à Freetown (Sierra Leone), en direction de Douala (septembre 1914)
(Source : www.gallica.fr)
Une guerre sur plusieurs fronts
(Source : Rémy Porte, La conquête des colonies allemandes, 2006)
Le nord du Cameroun a été un des principaux fronts. Les belligérants s’affrontent lors d’importantes batailles pour la maîtrise des villes, défendues par des garnisons allemandes. Ainsi, Garoua tombe après un long siège, en juin 1915.
La première grande bataille au nord est celle de Kousseri, en août-septembre 1914. Elle éclate pour le contrôle du poste frontalier, situé jute en face de Fort Lamy (actuelle Ndjamena), de l’autre côté du fleuve Logone. Elle commence le 24 août 1914 par une attaque des troupes françaises et se termine le 19 septembre 1914 par l’occupation de la ville, tandis que les troupes allemandes se replient vers Mora.
A l'est, les troupes alliées occupent rapidement Bonga et Zinga dès le mois d’août 1914 mais rencontre ensuite plus de résistance. Bertoua tombe après une sérieuse résistance, le 29 décembre 1914. Si les troupes allemandes sont assez peu nombreuses dans cette région, la progression est lente et difficile en raison de la faiblesse des moyens de transport.
Troupes françaises près de Doume (au sud de Bertoua) en juillet 1915
(Source : http://www.mediatheque-patrimoine.culture.gouv.fr)
Sur ces deux fronts, les Allemands doivent affronter un ennemi qui leur est supérieur mais dont l’avancée est retardée par une combinaison de facteurs : une longue résistance allemande autour d’Edéa et Kribi, des conditions difficiles aggravées par la saison des pluies et des difficultés à élaborer une stratégie militaire commune entre les Français et les Anglais.
En effet, le corps expéditionnaire franco-britannique (Cameroons Expeditionary Force), placé sous l’autorité du général anglais Dobell et du Français Mayer, s’empare assez facilement de Douala mais progresse ensuite lentement.
La prise de Douala
Les navires de l’expédition quittent Dakar le 7 septembre 1914 et se présentent devant les côtes camerounaises, le 23 septembre.
Le corps expéditionnaire est ralenti par quelques embarcations, coulées par les Allemands dans le chenal d’accès qui mène à Douala. Les croiseurs Challenger et Cumberland ouvrent le feu sur la ville, le 26 septembre 1914. Douala tombe sans véritable combat, le 27, car les Allemands n’envisagent pas de défendre cette dernière. Ils évacuent presque tout le matériel roulant et les armes vers l’intérieur et détruisent la station radiotélégraphique.
Antenne TSF détruite par les Allemands en septembre 1914
(Source : http://www.mediatheque-patrimoine.culture.gouv.fr)
Les troupes franco-britanniques pénètrent dans une ville marquée par une importante hostilité des populations duala à l’égard du colonisateur allemand, suite à la répression du mouvement de résistance dirigé par Rudolf Douala Manga Bell, moins de deux mois auparavant. Elles y installent leur quartier général et c’est depuis Douala que seront coordonnées certaines des offensives victorieuses en 1915.
Malgré l’absence de réels combats, la prise de la ville constitue une importante victoire stratégique pour les alliés. Elle leur permet de disposer des meilleures installations portuaires de la région pour préparer leurs actions ultérieures et d'isoler les Allemands, en les privant d’un possible ravitaillement du territoire voisin de la Guinée Espagnole.
Une progression difficile
Le général Dobell fait progresser ses troupes le long des voies de chemin de fer qui partent de Douala : la Nord bahn qui mène vers l’Ouest et la Mittel Bahn qui mène vers Edéa et Eséka, le terminus de la voie puisque les Allemands n’avaient pas encore réalisé la portion Eséka-Yaoundé.
Gare d’Eseka en 1917, un après la fin de la guerre
(Source : http://www.mediatheque-patrimoine.culture.gouv.fr)
Début octobre 1914, le secteur de Bonabéri (qui fait face à Douala, de l’autre côté du fleuve Wouri) est occupé par les Anglais. Dans le même temps, les Français ont du mal à s’emparer de Yabassi vers l’est et l’avancée des troupes franco-britanniques est ralentie par l’explosion du pont ferroviaire du fleuve Dibamba, orchestrée par les Allemands lors de leur repli. Le pont est finalement reconstruit avec ingéniosité par le génie français et la progression reprend.
Pont sur la Dibamba (entre Douala et Edéa) détruit par les Allemands puis réparé
(Source : L’illustration)
Si les Britanniques progressent assez rapidement dans la conquête de l’Ouest de la colonie, en s’emparant successivement de Victoria (actuelle Limbe) et Buea (ancienne capitale allemande de 1901 à 1908), en novembre 1914 puis de Nkongsamba et Dschang le mois suivant, la progression vers Yaoundé est en revanche beaucoup plus lente.
La ville d’Edéa, carrefour stratégique de première importance, est défendue durant plusieurs mois par les Allemands, qui perdent son contrôle à la fin du mois d’octobre 1914 mais tentent de contre-attaquer jusqu’au début du mois de janvier 1915.
Les Allemands vont également défendre âprement le port de Kribi, vital pour leur approvisionnement. Kribi est bombardée à partir d’octobre 1914 puis conquise par les troupes franco-britanniques en décembre 1914.
2. La victoire franco-britannique (1915-février 1916)
Au début de l’année 1915, la supériorité militaire franco-britannique est indiscutable mais ces derniers doivent encore achever la conquête de la colonie. A cette date, ils n’occupent dans l’Ouest, que les régions de Douala, Victoria, Buea et Kribi ainsi que Kousseri et quelques postes au nord et à l'est. Les Allemands contrôlent encore un vaste triangle autour du plateau central Garoua-Yaoundé-Dschang.
Une importante résistance allemande
Tout au long de l’année 1915, les troupes alliées continuent à rencontrer de vives résistances, notamment à Eséka, ville intermédiaire entre Yaoundé et Edéa, qui tombe le 14 mai 1915 aux mains des troupes du colonel Mayer.
Les Allemands livrent également d’importants combats pour défendre les villes du Nord. Le siège de Garoua, déjà évoqué, commence le 15 janvier 1915 et se termine le 10 juin 1915, après pratiquement cinq mois de résistance allemande.
Prise de Garoua par les troupes franco-britanniques
(Source : L’illustration)
Les deux officiers alliés chargés de cette opération adoptent une stratégie de siège en deux phases pour venir à bout des Allemands. La première, placée sous le commandement de Brisset, a pour mission de faire la reconnaissance du terrain, de l’investir et de l’occuper. La seconde, confiée à Webb Bowen, consiste à attaquer massivement la ville de Garoua, à la bombarder intensément. Sur le conseil du sultan du Wandala, Boukar Alfadi, les Allemands transfèrent leur siège au sommet de Mora, située au Nord de Garoua, d’où la 3ème compagnie commandée par le capitaine Von Raben repousse toutes les tentatives de conquête alliées depuis le 27 août 1914. Il faudra attendre le 18 février 1916 pour que les alliés viennent à bout de Mora, alors que la conquête du reste de la colonie était achevée depuis six semaines.
Une victoire longtemps repoussée
La victoire est ralentie par la détermination, une bonne connaissance du terrain des Allemands et par la faiblesse des moyens de communication. La Grande Guerre au Cameroun a été une lutte acharnée pour le contrôle des grands axes. Ces derniers, au départ réservés au passage des troupes allemandes et orientés de la côte vers l'intérieur, sont devenus un enjeu essentiel pour la victoire finale alliée. Les deux voies ferrées, la Nordbahn et la Mittellbahn ont favorisé le repli allemand.
Un autre obstacle à la victoire des alliés a été la difficile coordination des opérations. Il faut attendre le 6 février 1915 lors de la première conférence de Douala, pour qu’une véritable stratégie de conquête commune soit élaborée. La rencontre entre Lucien Fourneau (représentant l’AEF) et Dobell (représentant les Britanniques) prévoit de mettre sur pied, à partir du 1er mai 1915 une offensive concertée visant à obtenir la chute de Yaoundé. Mais en réalité, les attaques lancées après cette conférence restent assez peu coordonnées.
De la seconde conférence de Douala à la victoire finale
Les alliés décident donc d’organiser une seconde conférence à Douala, les 25 et 26 août 1915, qui regroupe, cette fois, le général Dobell, le gouverneur général de l’AEF Merlin ainsi que le Général Aymerich (qui commande les troupes de l’AEF).
Arrivée du général Aymerich à Douala à la fin du mois d’août 1915
(Source : L’illustration)
Profitant de la fin de la saison des pluies, l’offensive commune est lancée à la fin du mois d’octobre 1915. Fin novembre, les Franco-britanniques arrivent à Yoko par le Nord, faisant pratiquement la jonction avec les troupes franco-belges.
Officiers français devant le poste de Yoko, fin 1915
(Source : L’illustration)
Le gouverneur Ebermaïer et le Lieutenant-colonel Zimmerman décident alors de quitter leur capitale, Yaoundé, de plus en plus menacée, pour se réfugier en Guinée espagnole, colonie officiellement neutre mais plutôt favorable aux Allemands. Pour cela, ils doivent se replier vers le fleuve Rio Muni (matérialisant la frontière entre le Cameroun et la Guinée espagnole), ce qu’ils parviennent à faire en suivant la piste d’Ebolowa.
Le 1er janvier 1916, les troupes anglaises arrivent à Yaoundé, rejointes par les troupes de l'A.E.F, le 7 janvier 1916. Britanniques et Français trouvent la nouvelle capitale presque vide puisque les Allemands ont pris la direction du sud, suivis d’une part importante de la population. Environ 16 000 Camerounais dont 5000 soldats se sont réfugiés en Guinée espagnole, aux côtés des Allemands.
La conquête du Cameroun est pratiquement achevée. Il ne reste plus qu’aux alliés à s’emparer de la forteresse de Mora, dernier bastion allemand tenu par 5 officiers allemands et trois cents soldats indigènes. Le siège du rocher de Mora s’achève finalement par la capitulation du capitaine Von Raben, le 18 février 1916, en raison d’un manque de munitions et de l’absence de tout espoir d’assistance.
Soldat allemand retranché dans la forteresse de Mora
(Source : archives allemandes (Bundes archiv))
3. Une guerre difficile
La Grande Guerre au Cameroun est très difficile de par la superficie du pays et son territoire hostile (forêts denses et larges cours d’eau au sud, plateaux enclavés au nord).
La guerre n’est pas seulement rude pour les combattants, elle l’est aussi pour les porteurs. Environ 60 000 porteurs sont recrutés, parfois de force et un grand nombre souffre de malnutrition, d’épuisement et de maladie.
Ces porteurs vivent dans des conditions atroces, devant porter d’énormes charges, vivre dans l’inconfort le plus total, avoir des quantités très restreintes de nourriture. Pour certains, ces conditions de travail ne sont plus supportables, ce qui les poussent le plus souvent à la fuite. Le nombre de soldats et de porteurs autochtones morts durant ce conflit s’élève à des milliers mais il est difficile d’établir un bilan précis, et il est encore plus difficile de quantifier le nombre de morts civils.
Sur le plan économique, la Grande Guerre marque le déclin d’un pays qui connaît un essor limité mais croissant après trente ans de colonisation allemande, aboutissant à la dislocation à la fois des circuits internes et externes des échanges.
La Grande Guerre au Cameroun, qui dure près d’un an et demi, est marquée par de nombreux affrontements à travers presque tout le territoire. La colonie est partagée en mars 1916. Les Anglais en récupèrent 1/5ème, quant aux Français, ils obtiennent le reste ainsi que les zones cédées à l’Allemagne en 1911. La partition du Cameroun allemand constitue donc un véritable tournant dans l’histoire de la population camerounaise qui a été la première à subir les effets de cette guerre.
Sources :
MICHEL M., L’Afrique dans l’engrenage de la grande guerre, Karthala, 2013
PORTE R., La conquête des colonies allemandes, 14-18 Editions, 2006
BAH T. M., « La Première Guerre mondiale au Cameroun », in Kum’a Ndumbe III A. (Dir.) L’Afrique et l’Allemagne. De la colonisation à la coopération 1884-1986 (le cas du Cameroun), Yaoundé, Editions Africavenir, 1986
MVENG E., Manuel d’histoire du Cameroun, Ceper, 1978