La colonisation allemande au Kamerun

Auteur : Tiffany Ambre ETAME

Conseils, relecture et mise en forme : Luc YOMSI

          Dès la première moitié du XIXe siècle, le Cameroun, situé au cœur de l’Afrique, suscite l’intérêt des puissances coloniales européennes. Britanniques, Français et Allemands convoitent le territoire, qui tombe finalement sous la domination allemande en 1884. Lorsqu’en 1914, éclate la Première Guerre mondiale, il est géographiquement pris en tenaille entre la colonie britannique du Nigeria, les colonies françaises de l’AEF, et le Congo belge, dont les troupes sont mises à contribution pour mener la guerre contre l’Allemagne.



Administration allemande à Douala, le 27 janvier 1901, capitale de la colonie allemande du Kamerun depuis 1884
(Source : archives allemandes (Bundes archiv))


1. Des visites et convoitises étrangères au protectorat allemand

Le Cameroun, terre de visites étrangères

          Longtemps avant l’arrivée des puissances impérialistes au XIXe siècle, de nombreux explorateurs avaient déjà visité le Cameroun précolonial. C’est ainsi que dans l’Antiquité, le Carthaginois Hannon serait arrivé sur le littoral camerounais face au Mont Cameroun, alors en éruption.

          Au XVe siècle, les Portugais explorent les côtes africaines. Ils veulent découvrir de nouvelles terres, évangéliser les populations mais surtout trouver  une route maritime vers les Indes. Arrivés sur la côte camerounaise en 1472, les navigateurs portugais remontent l’estuaire du fleuve Wouri au moment où celui-ci regorge des crevettes, « Mbeatoe » en duala. Ils appellent ce fleuve Rio dos Camaroes, c’est-a-dire, la rivière des crevettes, d’où est issu le nom Cameroun.

          Comme explorateurs, il faut y ajouter les Hollandais qui atteignent le littoral camerounais à la recherche des esclaves, ainsi que les Espagnols qui y viennent pour le même but, et qui transforment le Camaroes portugais en Camarones.

          Au XIXe  siècle, le Cameroun devient une terre de rivalités coloniales entre Britanniques, Français et Allemands.

Les rivalités européennes et l’annexion du Cameroun par l’Allemagne

- L’antériorité et l’hégémonie de la présence britannique

           Les Anglais sont les premiers Européens à s’installer durablement au Cameroun. De 1840 à 1860, ils signent  avec les chefs de la côte  de nombreux traités. Par exemple, le 10 juillet 1840, les représentants du gouvernement britannique ratifient avec les chefs duala, un traité abolissant l’esclavage. Puis ils signent six autres traités sur le même sujet. De même, sept consuls britanniques se succèdent sur les côtes camerounaises. Mais ces traités et consuls ne doivent pas dissimuler que la principale préoccupation des Anglais sur la côte camerounaise reste commerciale.
A cause de leurs rivalités et de leurs querelles, les souverains duala manifestent leur sympathie en faveur de la tutelle britannique, espérant que son avènement puisse trancher les litiges entre commerçants européens et commerçants indigènes, ainsi que ceux qui les opposent.


Portrait du roi Bell, Ndumbe Lobe, vers 1874 (Source : www.wikipedia.org)


          C’est ainsi qu’ils demandent dans une série de lettres adressée à la reine et au gouvernement britannique, à être placés sous la tutelle anglaise. Malheureusement pour eux, il n’était pas dans l’intention des Anglais, du moins à ce moment là, d’annexer le Cameroun.


- La présence française

          C’est autour de 1840 que, venant du Gabon, les Français s’installent à Batanga. Le 20 mars 1842, ils signent un traité avec le chef Imale de cette localité. D’après ce traité, le chef place son territoire sous la protection du roi de France. Peu après, les Français se déplacent vers la partie septentrionale et ratifient avec les autorités locales des traités de cession et des accords  douaniers. En 1883, ils sont déjà à Malimba où le capitaine Godin, au nom de la France, conclut un autre traité avec le roi des Malimba. Celui-ci prévoie que le roi cède à la France, la moitié de son territoire et que le gouvernement français puisse y créer des établissements militaires et commerciaux. Mais il n'est jamais ratifié par les autorités françaises. A l’instar des traités passés entre les Britanniques et les souverains duala, il était surtout question de protection et de commerce.
Les évènements prennent une tournure singulière lorsque les Français se distinguent par des pratiques douanières discriminatoires qui pénalisent le commerce britannique. En représailles, les Anglais envisagent alors d’annexer  le Cameroun afin de protéger leur commerce. Malheureusement pour eux, ils seront devancés par les Allemands qui, depuis longtemps, ont des prétentions sur le Cameroun.

- L’annexion du Cameroun par l’Allemagne

           Alors qu’elle vient de réaliser son unité sous l’égide de son chancelier Otto Von Bismarck, après avoir arraché à la France l’Alsace et la Lorraine, l’Etat allemand a mieux à faire que de s’engager dans l’entreprise coloniale à la veille de 1884 et cherche plutôt à étendre son hégémonie en Europe, tout en isolant la France.
Ce sont, par conséquent, les commerçants allemands et plus précisément les maisons Woermann et Jantzen de Hambourg, installées sur les rives du Wouri depuis 1868, qui s’occupent de négocier cette annexion.
Dès 1874, Adolf Woermann écrit à Bismarck pour réclamer le titre de consul, qui lui est refusé. En 1875, la seconde maison de commerce allemande, la maison Jantzen und Thormälen s’installe également à Douala. En 1879, Adolf Woermann redemande expressément l’annexion du Cameroun. Il y décrit la situation précaire des commerçants allemands et réclame leur protection.


Portrait d’Adolf Woermann, au début du XXe siècle (Source : www.wikipedia.org)

          Pressé par les commerçants allemands d’une part, et désireux de se présenter en tant que pays intéressé à la question coloniale à la conférence de Berlin (15 novembre 1884-26 février 1885) d’autre part, Bismarck, qui avait toujours été réticent vis-vis de la colonisation, change d’avis. Il envoie Nachtigal (son ancien consul à Tunis) à bord du navire de guerre die Möwe, avec pour instructions de sillonner les côtes de l’Afrique occidentale et signer avec les chefs locaux des traités les plaçant sous protectorat allemand.
Ayant échoué dans leurs tentatives avec les Anglais, les souverains duala se tournent vers l’Allemagne. Edouard Schmidt (représentant de la firme Woermann) s’emploie à persuader les rois duala de l’intérêt qu’ils ont à accepter ses propositions. Le 30 janvier 1883, le roi Akwa et sa suite signent un important accord commercial avec Edouard Schmidt. Environ deux mois plus tard, il assiste également, comme témoin, à la convention de réconciliation signée le 29 mars 1883, entre les clans Akwa et Bell.
Ce travail mené par Edouard Schmidt auprès des rois duala porte ses fruits car, lorsqu’Edouard Woermann (frère cadet d’Adolf Woermann), arrive à Douala en juillet 1884, il trouve le terrain bien préparé au point qu’il n’a aucune peine à signer les traités des 11 et 12 juillet (celui du 12 juillet est le traité germano-duala, comportant cinq réserves), qui placent le Cameroun sous protectorat allemand.


Traité original germano-douala du 12 juillet 1884 (rédigé en anglais) et sa traduction ci-dessous



          Lorsque Nachtigal arrive à Douala, le 12 juillet, il prend possession du territoire au nom du Reich et le 14 juillet 1884, il y hisse le drapeau allemand.
Nachtigal précède de justesse le consul britannique Hewett, qui avait enfin reçu l’autorisation de négocier avec les rois duala. Quand il arrive à Victoria le 19 juillet 1884, il est trop tard. Le territoire est déjà annexé depuis une semaine.

2. Le Cameroun allemand

La délimitation des frontières

          Dans le souci de sécuriser les frontières du territoire qu’elle vient d’annexer au détriment de la Grande-Bretagne, l’Allemagne doit convaincre les autres puissances impérialistes de sa propriété sur le Cameroun. C’est à cette tâche qu’elle s’attèle à la conférence de Berlin, convoquée pour éviter d’éventuels conflits entre les puissances européennes dont les intérêts s’affrontent en Afrique (notamment sur les bassins du Congo et du Niger). Puis, elle procède à la délimitation des frontières du Cameroun avec les puissances européennes, qui lui sont voisines. Avec la Grande Bretagne, l’Allemagne fixe la frontière sud-ouest du Cameroun, de même qu’elle prolonge la frontière occidentale entre le 27 juillet et le 2 août 1886 : « du point terminal de la ligne primitive sur Calabar ou Cross-River, en diagonale, jusqu’à la rive droite de la Bénoué à l’Est de Yola », laissant cette ville dans la sphère britannique.

          Entre 1888 et 1894, toujours avec la Grande-Bretagne, un traité est signé le 15 novembre 1893 à Berlin. Celui-ci délimite la frontière occidentale du Cameroun, de Yola au Lac Tchad (laissant le massif des Mandara à l’Allemagne). Un autre traité est signé à Londres entre l’Allemagne et le Royaume-Uni, le 11 mars 1913. Celui-ci s’intitule : « Arrangement entre le Royaume-Uni et l’Allemagne relatif au tracé de la frontière entre le Nigeria et le Cameroun de Yola à la mer et la réglementation de la navigation sur le fleuve Cross-River ». Il faut rappeler que c’est ce traité qui intègre la péninsule de Bakassi dans le Cameroun allemand.

          De même qu’avec la France, l’Allemagne signe des accords, le 25 décembre 1885 à Berlin, les deux puissances coloniales délimitent les frontières australes de leurs possessions. A travers cet accord, l’Allemagne renonce, au profit de la France, à tous droits de souveraineté sur les territoires au sud de la rivière Campo. En compensation, le gouvernement français renonce, lui aussi, à tous droits de souveraineté au nord de la rivière Campo. Un autre accord portant sur la frontière orientale du Cameroun, est également signé à Berlin, le 4 février 1894 et lui donne sa forme triangulaire.
Le 18 avril 1908, est signée à Berlin la troisième convention entre la France et l’Allemagne. Celle-ci concerne la frontière entre le Congo français et le Cameroun allemand.


Carte du Kamerun réalisé au début de l’année 1911,
avant la convention franco-allemande du 4 novembre
(Source : fondation "Preussischer Kulturbesitz")

          Le 4 novembre 1911, une nouvelle convention franco-allemande, modifie profondément le tracé des frontières. A l’issue de l’incident d’Agadir au Maroc, la France cède à l’Allemagne une partie de ces territoires de l’AEF d’une superficie de 275360 Km2 (le bassin de la Sangha avec des points sur l’Oubangui (RCA actuelle), le Congo, ainsi qu’une bande du Gabon). Cette compensation territoriale est d’ailleurs l’une des causes de la guerre au Cameroun. Le « Grand Cameroun » est ainsi formé avec une superficie de 787840 Km2.


Carte du Kamerun réalisé en 1912, après la convention franco-allemande du 4 novembre 1911
(Source : archives allemandes (Bundes archiv)

L’administration et la mise en valeur du territoire

          L’administration du Cameroun sous la période coloniale allemande peut être abordée sur deux plans : au plan central et au plan régional.

          Au plan central, le protectorat est placé sous la souveraineté du chancelier, du Reich. Son représentant au Cameroun, est le gouverneur, dont le rôle est de s’occuper de l’organisation administrative du territoire. Jusqu’à la fin du XIXe siècle, il a très peu d’autonomie dans l’exercice de ses fonctions. Toute décision majeure doit être validée par le chancelier. Dès 1900, une ordonnance lui octroie quelques pouvoirs supplémentaires, mais c’est surtout l’ordonnance du 3 juin 1908 qui les renforce. Il a désormais le droit d’organiser l’administration locale et déterminer les règles judiciaires. Dans ses fonctions, le gouverneur du Cameroun est aussi haut-commissaire du Togo. En une trentaine d’années de protectorat au Cameroun, six gouverneurs allemands se succèdent : Julius von Soden (1885-1891), Eugen von Zimmerer (1891-1895), Jesko von Puttkamer (1895-1907), Theodor Seitz (1907-1910), Otto Gleim (1910-1912), et enfin Karl Ebermaier (1912-1916).



Portrait de Karl Ebermaier, dernier gouverneur allemand du Kamerun,
 au début du XXe siècle
 (Source : http://www.icsm.it/articoli/ri/camerun.html)

          Le Cameroun allemand a connu successivement trois capitales : Douala (1885-1901), Buéa (1901-1909), et au début de la Grande guerre, Yaoundé. Un conseil de gouvernement assiste le gouverneur dans ses fonctions (composé de fonctionnaires, commerçants, planteurs, missionnaires, particuliers). Le gouverneur est également assisté par un chancelier et son suppléant (qui porte le titre de secrétaire général). Ils peuvent le remplacer pendant ses absences ou ses tournées.

          Au plan régional, il est à noter qu’avant le début de la guerre, le Cameroun comprend : 28 circonscriptions administratives. Le système d’administration adopté est fonction des réalités politiques traditionnelles et des résistances rencontrées. Par exemple dans la partie septentrionale, les Allemands appliquent l’administration indirecte. Les résidents allemands sont plutôt des conseillers des souverains locaux à qui ils laissent l’essentiel de leur pouvoir traditionnel dans la gestion de leurs populations. Au sud, en revanche, ils pratiquent l’administration directe.

          Dès leur installation au Cameroun, les Allemands font l’inventaire des richesses du territoire.  Ils entreprennent sa mise en valeur en créant des plantations, en exploitant la forêt, en ouvrant des voies de communication, et en l’équipant.
L’agriculture tient la première place, cela par l’entremise des grandes sociétés spécialisées dans les cultures d’exportation comme le cacao, la banane, le coton, l’hévéa. L’exploitation forestière et minière accompagne l’agriculture.


Chargement de bananes à Tiko (entre Douala et Buea), en 1912.
 (Source : archives allemandes (Bundes archiv))

          Les voies de communication sont une condition essentielle de la mise en valeur du territoire. Pendant les premières années, on transportait tout à tête d’homme. Des porteurs chargés de ballots de caoutchouc allaient à pied des forêts de Yokadouma (Région de l’Est) à Kribi (Région du Sud). Il faut donc créer des routes. En 1912, la première route du Cameroun, Kribi-Yaoundé en passant par Lolodorf, est achevée. Puis c’est le tour de la route Kribi-Lolodorf-Ebolowa. Dans le domaine ferroviaire, des projets sont mis au point. Le chemin de fer du Moungo doit relier Douala et les plantations de cette région. Le tronçon Douala-Nkongsamba est achevé et inauguré le 11 avril 1911. Le chemin de fer du centre qui devait plus tard atteindre le Tchad, est en chantier. Des milliers de manœuvres y travaillent dans des conditions très difficiles car la rudesse du relief (constitué de montagnes et de ravins très encaissés) rend le tracé et le profil difficile à exécuter. Les travailleurs sont obligés de dynamiter les blocs rocheux qui s’effondrent, faisant de nombreux morts. Ces travaux illustrent à eux seuls, toute la pénibilité endurée par la main d’œuvre indigène. En plus des voies ferrées et des routes, le Cameroun est également, à la veille de la Première Guerre mondiale, un territoire doté de quelques infrastructures comme les ports de Douala, Victoria et Tiko, de lignes télégraphiques et téléphoniques, de ponts (à l’instar du pont allemand sur la Sanaga, construit en 1911).

          De par ses atouts et sa situation stratégique, le Cameroun ne pouvait qu’attirer la convoitise des puissances coloniales européennes. La guerre qui se déclenche sur son sol en 1914 n’est qu’une conséquence des rivalités, qui, depuis le XIXe siècle, opposaient les principales puissances européennes présentes en Afrique centrale.  

Source :

MVENG E., Manuel d’histoire du Cameroun, Ceper, 1978

OWONA A., Naissance du Cameroun 1884-1914, racines du présent, L’Harmattan, 1996

NGOH V-J., Cameroun, 1884-1985, Cent ans d'histoire, CEPER, 1990

http://www.memoireonline.com/12/09/2981/m_Limposition-des-cultures-de-rente-dans-le-processus-de-formation-de-letat-au-cameroun-1884-1929.html


Haut de page